Les nuages évoluent sous un ciel immense, mais la lumière ne disparaît jamais totalement, elle s’offre parfois comme une fleur qui s’éveille au matin, fragile, pleine d’audace. Et lorsqu’elle élargit les horizons, elle transcende les barrières ; invitation à rêver d’un monde plus vaste.
On n’était pas très loin après la Grande Guerre et le monde avait besoin de se divertir, il fallait beaucoup oublier encore. Quand Joséphine arriva avec son lot de folie douce, d’effronterie et d’extravagante modernité… c’était du jamais vu encore ! Ce fut la révolution, d’abord à Paris puis dans toute l’Europe, la scandaleuse ne manqua pas de choquer tout autant qu’elle conquit avec ses danses endiablées, parfaite incarnation de ces folles années. C’était il y a cent ans. C’était en 1925 au théâtre des Champs Élysées.
À cette époque pas si lointaine où l’imagerie coloniale comptait – ne l’oublions pas – parmi les divertissements préférés d’un monde occidental bien établit, c’est en femme libre que la Vénus d’Ébène s’imposa, se jouant des stéréotypes pour en déjouer l’imagerie du bon sauvage. Dans une liberté sans limite, la métisse trop blanche pour les noirs et trop noire pour les blancs, cassa tous les codes jusqu’à devenir l’égérie des années folles, la figure iconique de l’Entre-deux-guerres, la première femme noire portée en star internationale.
Mais Joséphine n’était pas qu’une simple danseuse de Music Hall ! Espionne au service de la France Libre, introduite dans les ambassades et banquets mondains, elle n’hésita pas à utiliser sa renommée pour traverser les frontières et passer des informations stratégiques. Résistante jusqu’au bout, inspirante par son engagement, son audace et son courage, elle fut un modèle de combat pour la liberté et l’universalisme. En 1951, en pleine ségrégation raciale, dans son pays natal qui ne la considérait pas, du fait de sa couleur de peau, elle obtint que son concert à Miami soit ouvert à tous. En 1963, elle se tenait aux côtés de Martin Luther King lors de son célèbre discours de Washington pour y exprimer ce rêve commun, celui d’un monde multi-ethnique ; un rêve qu’elle a si bien réalisé au sein de sa fameuse tribu arc-en-ciel, en adoptant douze enfants de pays et de religions différentes. Convaincue que c’était la meilleure façon d’éclipser la peur de l’autre au profit de la fraternité, elle incarnait ainsi parfaitement la phrase d’Antoine de Saint-Exupéry : « Si tu diffères de moi, mon frère, loin de me léser, tu m’enrichis »[1].
Et c’est bien de cette fraternité[2] qu’il s’agissait pour Antoine, pour qui construire une civilisation ne peut se faire qu’avec l’esprit, le sens de la responsabilité et du dépassement. C’est l’esprit qui mène le monde et non l’intelligence écrivait-il dans ses carnets[3].
En cherchant les étoiles dans le regard de ceux qui nous entourent, nous trouvons la force de résister. Quand la lumière brille dans un sourire offert sans raison, une main tendue vers l’autre, ou le courage de dire « non » à l’injustice, ce sont bien ces fragments d’humanité qui viennent percer les ombres les plus épaisses.
Cette lumière est aussi dans la création : peindre, écrire, chanter, danser sont des moyens de capter l’invisible, de transformer l’obscurité, parce que la beauté est une réponse, comme la solidarité est une force.
En 2025, soyons lumières !
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Notes :
1– Extrait de Citadelle, une œuvre ni achevée ni retouchée par Saint-Exupéry, dont la première parution date de 1948 aux éditions Gallimard. Il y aborde tous les grands thèmes de la philosophie morale dans un brouillon de près de 1000 pages.
2– Définition du Littré : « L’amour universel qui unit tous les membres de la famille humaine. Devise de la France républicaine : Liberté, Égalité, Fraternité. »
3– Carnets, publiés en 1953 aux éditions Gallimard.
Saint-Exupéry considérait que faire de l’homme un créateur devait être le sens de toute civilisation digne de ce nom, car il faut des créateurs pour fonder une civilisation, comme il faut une civilisation puissante pour donner naissance à des êtres humains réellement créateurs.
(NB : entendu par création, tout acte de créer, et pas seulement dans le domaine artistique.)