Voyage au bout d’ici, en 2023 (suite)

Vœux 2023

Partie 2/2

Le voyage, c’est aussi une façon de porter l’attention. Le voyage est une rencontre. Le voyage est une pensée. Le voyage est le bruit du vent ou le chant du merle, sur sa branche perchée. Fermer les yeux. Le voyage, c’est aussi ici. Sur le chemin de halage, le long de la rivière, le sentier qui traverse le bois, juste derrière, et puis tout au bout le pré encore un peu sauvage, laissé en friche. C’est encore, le sourire de la grand-mère que tu ne connais pas mais à qui tu dis bonjour et qui te raconte un fragment de sa vie, le regard de ce passant jamais vu sur qui tu poses les yeux, même un bref instant, et qui te reconnaît.

J’ai connu les douars d’un autre âge au nord de l’Afrique, les villes et villages d’Orient, les mégalopoles japonaises ou encore les forêts et collines des Balkans, la mer d’Egée, la Noire ou la Baltique, le Pacifique, le Sahara ou le désert du Thar. Mais je n’avais pas fini de rencontrer tous ces gens et toutes ces histoires lorsque j’ai décidé d’arrêter le chemin de mes voyages lointains. Je ne verrai donc jamais les traces des civilisations Incas ou Maya, je ne rencontrerai pas les peuples aborigènes, je ne saluerai pas les animaux du parc Kruger, je n’arpenterai pas les mégalopoles du continent américain, pas plus que le désert des Mojaves, le parc de Séquoia ou de Joshua Tree. Encore moins les glaciers de l’Arctique et de l’Antarctique. J’aurais aimé pourtant ! Mais non.

Promenades. Rencontres. Lectures. Des photographies et de très beaux films nous font aussi entrevoir le monde de là-bas. Mais d’abord, les récits ! Dans-un-monde-saturé-d’images-où-il-n’y-a-plus-vraiment-de-regard, nos-yeux-là-où-nous-portent-nos-pieds-et-les-mots-laissés-sur-le-papier-sont-les-plus-grands-voyages !

Je me rappelle les forêts que l’on visitait en primaire et ces sentiers en sous-bois arpentés en file indienne. Quels merveilleux souvenirs ! À l’invite de l’instituteur, nous observions les insectes, les feuilles, les branches, les mousses. J’y ai sans doute trouvé le goût de ces petits voyages, d’ici et de maintenant.

Aujourd’hui, moins de 50 ans plus tard, on nous apprend que l’école ne promène plus les enfants dans la forêt, n’offre plus la curiosité et l’observation du vivant. Des générations toutes neuves qui savent bien mieux que nous s’inquiéter du climat, s’éloignent de la nature. On dit pourtant que l’on ne protège que ce que l’on connaît. Où vont-ils trouver l’enchantement du monde ?


L’écho d’un beau rêve m’est arrivé aujourd’hui : celui de faire renaître une forêt primaire1 de 70 000 hectares dans le Jura, à partir d’une forêt existante. Il me souvient alors L’Homme qui plantait des arbres que Jean Giono écrivit en 1953. Porté par le botaniste Francis Hallé, ce projet de forêt primaire traverserait les siècles et les frontières pour que la nature puisse à nouveau y évoluer de façon autonome, renouvelle et développe sa faune et sa flore sans aucune intervention humaine !

C’est beau. C’est essentiel. Je respire l’odeur de la mousse, j’entends le bruissement des petits êtres des bois sur les feuilles échouées au sol, le pinson des forêts, la musaraigne, l’écureuil roux.
Et je voyage. Ici. En 2023.

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1– Une forêt primaire est une forêt qui n’a été ni défrichée, ni exploitée, ni modifiée de façon quelconque par l’homme ; elle est beaucoup plus belle et beaucoup plus riche en formes de vie qu’une forêt secondaire, dégradée, appauvrie. Pour obtenir une forêt primaire on estime qu’il faut 1000 ans à partir d’un sol nu, environ 800 ans à partir d’une forêt secondaire.
En savoir plus sur le projet de Francis Hallé : https://www.foretprimaire-francishalle.org/le-projet/

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