Eugène Green

Entretien avec un homme de théâtre, réalisateur, écrivain et essayiste

Réalisé en 2010 pour la revue ArtKopel

ArtKopel — Dans votre essai sur la nature du cinéma, vous ajoutez à propos de la présence réelle que « Toute grande œuvre cinématographique est une histoire de fantômes ». À propos de la présence réelle et cachée, vous évoquez régulièrement, dans des essais ou des fictions, les anges et les fantômes et vous y croyez. Ce n’est pas banal !

Eugène Green — Les fantômes sont pour moi quelque chose de naturel, c’est ce que je tente d’expliquer dans Présences : quand j’étais enfant et que j’étais auprès d’un arbre, je sentais la vie de l’arbre. Les rationalistes reconnaissent tout de même qu’un arbre est vivant, mais quelque chose va au-delà de la vie végétale d’un arbre. Pour les Grecs, chaque arbre possédait un esprit qui s’appelait une dryade. Enfant, c’était pour moi quelque chose de tout à fait spontané, il n’y avait rien d’intellectuel ou de réfléchi. Je sentais la présence de cet esprit dans l’arbre. C’est une énergie spirituelle qui est attachée directement à l’arbre, qui est limitée par lui.
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ArtKopel — Quand vous évoquez l’arbre dans La Bataille de Roncevaux, c’est alors une part plus personnelle ou autobiographique que vous faites vivre à votre personnage principal, avec son attachement et son habitude d’aller s’asseoir contre l’arbre ?

Eugène Green — Oui, bien sûr. Il y a toujours des choses qui viennent de l’expérience. Il y a presque toujours des fantômes dans mes romans. (…) Les anges, par l’étymologie de leur nom, sont des messagers. Prenons le personnage principal de La Religieuse portugaise, qui en arrivant à Lisbonne a l’impression que sa vie est composée de fragments sans rapport les uns avec les autres, que cette vie n’a donc pas de sens et que du coup, le monde autour d’elle n’a pas non plus de sens. Finalement elle découvre qu’il y a des liens entre tous ces fragments, donc entre elle et le monde aussi. D’une certaine manière, on peut dire que quand on reçoit ce message — qu’il y a des liens entre les parties de sa vie, entre soi-même et le monde — c’est le signe qu’on a reçu la visite d’un messager. On peut bien-sûr les considérer autrement.
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ArtKopel —Et vous écrivez aussi que les choses existent parce qu’on les nomme. Qu’en est-il alors des choses indicibles ?

Eugène Green — Je crois que c’est un peu le thème de La Bataille de Roncevaux, c’est-à-dire que l’homme existe à travers le langage, à travers une, ou parfois plusieurs langues, car une langue est une vision du monde, et c’est la parole qui distingue l’homme des autres créatures animées. Le monde prend un sens pour l’homme à travers sa langue, et donc à travers les noms qu’il peut donner aux éléments du monde. Dans l’extrait de Toutes les nuits que vous citez, cette jeune fille se trouve face à une expression du désir de Jules, le garçon qui est avec elle. Elle sent le désir s’éveiller en lui, et en même temps, comme souvent, la sexualité est une porte vers d’autres choses, vers des mystères spirituels.
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