Théo Angelopoulos

Entretien avec un réalisateur

Réalisé en 2008 pour la revue ArtKopel

ArtKopel — Pourriez-vous expliquer la différence des notions du temps qui apparaît à l’intérieur de vos films ? Souvent, des gens deviennent totalement immobiles pendant que l’action se déroule, comme si au sein d’un temps commun, le temps s’arrêtait pour les uns, continuait pour les autres, et repartait de manière un peu différente pour chacun.

Théo Angelopoulos — Peut-être que si j’ai apporté quelque chose au cinéma, c’est ça : une problématique du temps, du temps comme temps cinématographique, mais du temps en général aussi. La notion du temps : passé, présent et futur, pour moi, n’existe pas. De ce point de vue, je suis un peu asiatique. Pour eux, tout est présent, et pour moi aussi. Je pense que toutes les tentatives de donner une définition du temps sont très poétiques, et c’est tout ce qu’on peut dire. Quand les Grecs anciens donnaient une définition du temps, il y avait plusieurs définitions, et c’était toujours de façon très poétique.
[…]

ArtKopel — Vous avez revisité le XXe siècle à travers vos films, et vous avez fini par dire que c’était comme si rien n’était arrivé, que l’humanité n’avait rien apprit et n’apprend rien, qu’elle répète et conduit d’une catastrophe à l’autre. Vous avez cité la Bosnie, le Kosovo, l’Irak, l’Afghanistan... Et que ce qui reste est la souffrance.

Théo Angelopoulos — Je suis né en 1935 et j’ai traversé pas mal de choses. Mon premier souvenir date de quand j’avais cinq ans. Mon premier son : les sirènes de la seconde guerre mondiale, la guerre avec l’Italie mussolinienne. Ma première image : je me rappelle les gens qui sont sortis à cinq heure du matin, tous réveillés. J’étais tout petit et je regardais, mes parents sont sortis comme les autres, et je voyais tous ces gens, la nuit, à cinq heure du matin. Ça, c’est la première image, les sirènes, les gens dans la rue, inquiets. J’avais peur. La deuxième image, c’était l’entrée des Allemands dans Athènes. Après, il y a tout eu : la première guerre civile dans Athènes... Dans la rue où j’habitais, il y avait la gauche et la droite, la guerre, les morts, les uns, les autres, mon père arrêté, emmené pour être exécuté […]


ArtKopel — Vous avez dit qu’à travers vos films vous écriviez des choses que vous n’arriviez pas à vivre. Est-ce un prix à payer ?

Théo Angelopoulos — Bien-sûr ! Croyez-vous que les mots qu’on écrit dans une scène d’amour, dans un film, on puisse les dire de la même façon accomplie quand on les adresse à une femme ? Il y a toujours un côté maladroit dans la vie, une petite maladresse qui rend humain, quelque chose qui n’arrive pas à être accompli du point de vue esthétique, dramaturgique. Je ne sais pas comment l’expliquer, mais c’est sans doute pour ça qu’on a besoin de l’art pour nous donner quelque chose en plus de notre vie : pas une idéalisation de façon banale, mais un accomplissement, une profondeur donnée. C’est ça le dialogue avec l’art, découvrir, sentir, aller au-delà de quelque chose qu’on ne peut pas vivre.
[…]

Theo Angelopoulos termine notre conversation par un clin d’œil à Federico Fellini :
« Je ne suis pas sûr que tout ce que je vous ai raconté a réellement existé, ou si je l’ai inventé ».

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